Camille Renault (1904 – 1984)


Camille Renault est né le 2 mai 1904 à Trie-Château, de parents boulangers spécialistes de la bonne brioche et de grands-parents boulangers à Rouen, rue Vivien, où ils furent les derniers à confectionner les “cheminets”, sorte de pains ronds très pressés que l’on trempait dans l’eau chaude, et que les femmes emportaient à travers la ville enveloppés dans des couvertures pour conserver leur chaleur.


Camille devant la boulangerie familiale de Trie-Château


Dans son enfance, il fréquente l’école communale de Gisors. Dés qu’il peut, il va chez la châtelaine de Trie-la-Ville, “Madame Simone” comédienne de renom, alors mariée à Claude Casimir Périer (fils de l’ancien président de la république Jean-Casimir Périer) qui a pour secrétaire Alain Fournier (Le grand Meaulnes). Ici, il rencontrera des habitués du château comme Charles Péguy ou Jean Cocteau. Lors de son enfance, il se casse les deux jambes, ce qui va l’obliger à observer une longue période d’inactivité et provoquera chez lui un dérèglement anormal de son poids. Au divorce de ses parents, il s’installe rue Clauzel à Paris (9°) chez son oncle, M. Ledoigt, polytechnicien et secrétaire général à la compagnie de l’Est, grand amateur de peinture classique, qui lui fera découvrir la peinture lors de la visite du salon des artistes français. C’est le début d’une passion qui ne le quittera jamais.

Cette rue comptait de nombreux marchands de couleur. Au 14, se trouvait la boutique du père Tanguy qui fut le lieu de rencontre des plus importants représentants des mouvements impressionniste, néo-impressionniste, symboliste, nabi. Emile Bernard a pu dire : “ L’école de Pont-Aven est née dans la boutique du père Tanguy”.

A 14 ans, apprenti pâtissier chez Bourbonneux, célèbre pâtisserie près de la gare Saint Lazare, il découvre pendant ses moments de liberté les galeries d’art du faubourg Saint Honoré.

A 17 ans, apprenti cuisinier dans le restaurant Marguery, boulevard Bonne Nouvelle, pour devenir cuisinier au restaurant Le Cabaret sur Les Champs-Elysées. Il se rend souvent dans les galeries les plus célèbres de l’époque, Vollard, Sagot, Berthe Weil, se passionne pour Van Gogh, Gauguin, Matisse et va même jusqu’à décorer ses plats en s’inspirant des Fauves.

A 20 ans, alors qu’il pèse déjà 120kg, il effectue son service militaire au Maroc, en tant que cuisinier du maréchal Lyautey à la résidence générale de Rabat.

Libéré de ses obligations militaires en 1925, il prend la succession de monsieur Deveau, propriétaire d’un café-restaurant à Puteaux situé à l’angle de la rue de la république et de la rue Edouard Vaillant, dont la grande arrière-salle était utilisée pour les noces et banquets, les premières communions et pour les conférences d’éducation populaire organisées par l’association Germinal. Avec son imposante présence, il pèse plus de 190 kg et atteindra 250 kg, il appelle son restaurant “Le Big Boy” grâce au peintre A. Lhote qui s’amusait à l’appeler ainsi. Le 18 janvier 1928, il se marie avec Suzanne Ruffet.

A la même époque, non loin de son restaurant, se réunit le “ groupe de Puteaux ” qui rassemble un certain nombre de peintres passionnés par le cubisme, Villon, Kupka (précurseur de l’art abstrait, il a habité à Puteaux, rue Lemaire, de 1906 jusqu’à sa mort), Léger, Gleizes, Metzinger.

Jacques Villon, voisin de Camille Renault, vient dîner tous les lundis chez Big Boy avec Lhote, Kupka, Gromaire et toujours en offrant une toile tous les cent repas. En effet, Camille Renault reçoit ces jeunes artistes à bras ouverts avec son fameux “ contrat du carton”. Par ce contrat, le restaurateur donnait au peintre un carton comprenant du papier blanc, des pinceaux, une boite de gouache et disait à l’artiste“ puisque vous êtes là, vous ferez bien un petit dessin. Par exemple des chevaux ou une femme à la fenêtre ?”, ou bien“ N’aimeriez vous pas faire mon portrait ?”. Pour payer son repas, l’artiste dessinait ce qu’il voulait et le mettait dans le carton. Nombreux furent alors les peintres qui dessinèrent Camille Renault. On peut, entre autre, citer Jaques Villon, Léger, Braque, Derain, Dufy, Kupka, Dubuffet…

La renommée grandissante de “Big Boy” attira d’autres peintres tels que Picabia et Vitalis et de très nombreux autres artistes fréquenteront son établissement. Son restaurant attirera aussi le tout Paris à Puteaux pour voir les toiles exposées, discuter avec les artistes, mais aussi pour y déguster la “ croustade Kupka”, “le turbot Villon”, le “soufflé Kandisky”. Parfois un client repartait en ayant acheté une toile. Joyeux, picard jusqu’au bout des ongles, généreux et truculent, on vient autant pour voir Camille que pour se restaurer.

Il devient alors l’homme le plus portraituré de France. Reynold Arnoux, lors d’expositions qui ont été organisées à Londres et aux USA a montré environ 300 toiles représentant Camille Renault. Ce mécène qui offre des repas, de la peinture, ou des toiles sans contrepartie financière, vendra rarement ses œuvres et seulement en cas de besoin. Pendant l’occupation allemande, il ferme son restaurant et s’occupe de la cantine de la société Générale de TSF réquisitionnée par les Allemands.

Après la guerre et jusqu’en 1959, le restaurant redevient le lieu de rencontre à la mode de nouveaux artistes et d’intellectuels comme Sartre, Malraux, Camus.

Devant le nombre toujours croissant et impressionnant de tableaux, Camille Renault qui possède l’une des plus belles collections privées au monde, achète, en 1952, une ferme à Broué en Eure et Loir où il ajoutera un nouveau bâtiment “Le bateau de pierre” et “La galerie”, pour pouvoir exposer plusieurs centaines de toiles. Le “bateau de pierre” fut souvent transformé, certains de ses plans, non signés, sont attribués à Le Corbusier. De nombreux artistes (Matisse, Le Corbusier, léger, Villon, Picasso…, y avaient leur chambre avec leur nom et une de leurs œuvres y était accrochée. Dés lors, il partage sa vie entre Puteaux et Broué, mais en 1959, un infarctus l’oblige à ralentir ses activités. Une seconde alerte et surtout la mort de son ami Jacques Villon le décide à changer d’activité.

 

Le bateau de pierre


En 1967, il vend son restaurant pour acheter une galerie d’exposition au 113 boulevard Haussemann à Paris et quitte définitivement Puteaux pour habiter au-dessous de sa galerie, dans un deux pièces sans fenêtre, mais décoré de peintures. Toujours mécène, il continue à aider de nouveaux peintres comme Marzeille, Perre, Chevolleau et pendant les dernières années de sa vie, il passe son temps entre Paris et Broué où il y va surtout les weekends.

En 1977, il est admis à l’hospice de Dourdan où il restera pendant 7 ans jusqu’à sa mort le 1er mars 1984.

Il sera inhumé au cimetière de Trie-Château, son village natal de Picardie.

On ne sait pas ce qu’est devenue sa collection, pourtant riche de près de deux cent tableaux.

Cette notice est un article, enrichi de détails, de Muriel Damoiseau qui reprend les informations publiées dans la Lettre de la Shalp de mars 1991 par Louis Kammerlocker.


 

Le 3 septembre 2011, inauguration par M. Karpoff, maire de Trie-Château, de la rue Camille Renault.