Portrait dans la réédition en 1822 de

« L’abrégé de l’origine de tous les cultes »

 

Charles-François DUPUIS est né à Trie-Château le 26 octobre 1742 et mort à Echevannes (Côte-d’Or) le 29 septembre 1809.

Son père, instituteur à Trie avait épousé Clotilde Chauquet, sous -intendante au château du prince de Conty. Il lui apprit outre la langue française, les mathématiques et l’arpentage. Ses talents précoces furent remarqués par le duc de La Rochefoucauld qui le plaça comme boursier au collège d’Harcourt à Paris, le plus côté des collèges de l’époque.

Charles Dupuis revêtit l’habit ecclésiastique, fut licencié en théologie et nommé à la fin de ses études à 24 ans en 1766, professeur de rhétorique au collège de Lisieux à Paris. Il employa ses loisirs à étudier des cours de droit, et se fit recevoir avocat au parlement de Paris en 1770. Il quitta le costume ecclésiastique, se maria en 1775 et, cette même année, fut chargé parle recteur d’université de composé le discours en latin pour la distribution solennelle des prix de l’université de Paris, en présence du parlement où l’on remarque son éloquence et sa latinité pure et élégante.

Il s’adonna alors à l’étude des mathématiques, de l’antiquité, suivit les cours d’astronomie de Lalande avec qui il se lia d’amitié.

A Belleville, Charles Dupuis créa en 1778 le premier télégraphe aérien et communiquait avec son ami le savant Jean Fortin, qui de sa maison de Bagneux observait les signaux à l’aide d’un télescope. Dupuis détruisit son invention en 1789 de crainte qu’elle ne le rendît suspect aux yeux des révolutionnaires. Les frères Chappe devaient un peu plus tard vulgariser cette invention qu’on leur attribue aujourd’hui. En même temps, il conçut son système sur l’origine des mois grecs qui fut l’occasion d’un mémoire étendu sur les constellations, qu’il publia dans le journal des savants en 1778 et dans l’astronomie de Lalande en 1781 sous le titre mémoire sur l’origine des constellations et sur l’explication de la fable par l’astronomie. Réfuté par l’académicien Bailly auteur d’une histoire de l’astronomie, cet ouvrage établit néanmoins la consécration scientifique de Dupuis.

En 1780, il prononça, au nom de l’université et en latin, l’éloge funèbre de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. La publication de cette œuvre assura sa notoriété littéraire. Par l’entremise de Condorcet, Frédéric II de Prusse lui proposa la chaire de littérature au collège de Berlin, mais le décès du roi, en 1786, empêcha sa prise de fonction.

Professeur d’éloquence latine au collège de France en 1787, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1788, il fut nommé, en 1790, par le département de Paris, commissaire de l’instruction publique, chargé de l’inventaire des contrats, revenus, fondations et des locaux relatifs à l’éducation sur la capitale.

 

 

Craignant les violences des révolutionnaires parisiens, il partit pour Evreux où le 15 septembre 1792, il fut élu 1er député suppléant de Seine-et-Oise à la convention, par 359 voix sur 682 votants. Il siégea immédiatement en remplacement de Bertrand Barère de Vieuzac qui opta pour les Hautes Pyrénées et prit place parmi les modérés. Lors du procès de louis XVI, au 1er appel nominal sur la culpabilité du roi, refusant aux députés la qualité de juge, il répondit :

«Comme juge, je ne puis voter ; comme homme, je suis convaincu ; comme représentant du peuple, également convaincu, je dit oui.»

Il dit au 3e appel nominal :

«Je ne concourrai pas de mon vœu à priver le peuple d’un otage important qu’il aura le droit de vous demander un jour. Je vote pour la détention.»

Après la condamnation, il vota pour le sursis.

«Je souhaite, dit il, que l’opinion qui obtiendra la majorité des suffrages, fasse le bonheur de tous mes concitoyens ; et elle le fera si elle peut soutenir l’examen sévère de l’Europe et de la postérité, qui jugent le roi et ses juges.»

Elu le 12 ventôse an III (2 mars 1795) secrétaire de la convention, il présenta :

• Le 26 ventôse (16 mars) une motion relative aux dénonciations contre “les terroristes”.

• Le 18 germinal (7 avril) un projet : - sur la garantie des dettes de l’état,

- sur l’épuration des administrations de la république «d’où seront exclus tous les hommes ineptes et intrigants»,

- sur la création de tribunaux de comptabilité pour faire rendre des comptes aux dilapidateurs,

- sur l’extension à donner à "la Constitution démocratique de 1793, afin que le peuple français rentre le plus tôt possible dans l’exercice de tous ses droits”.

La Convention ordonna l’impression du projet.

Le 21 germinal (10 avril), la convention désigna Dupuis pour aller assurer dans les départements l’exécution des lois relatives à l’instruction publique. Le 21 fructidor (7 septembre), H. Agasse, imprimeur-libraire, a offert à la convention le premier exemplaire de L’origine de tous les cultes ou Religion universelle, du citoyen Dupuis, député. Dans cette œuvre, il développe un “système” qui démontre l’origine des religions par l’astronomie, l’étude du zodiaque et les positions du soleil.

 

 

Frontispice de L’origine de tous les cultes de Dupuis (1795). Déssiné par Ducoudray, gravé à l’eau forte par L. Pauquet, terminé au burin par P.H. Trière. «Ce frontispice, écrit Dupuis est un tableau raccourci de L’origine de tous les cultes, et il sert à en fixer les bases générales, d’une manière aussi ingénieuse que piquante.»

Le 26 vendémiaire de l’an IV (18 octobre 1795), Dupuis fut élu député de Seine-et-Oise au conseil des Cinq-Cents par 144 voix sur 205 votants.

− Le 19 brumaire (10 novembre), il appuya un projet relatif aux déserteurs et termina ainsi son discours : «Je voudrais également que tout citoyen de la première réquisition, qui n’aurait pas rejoint ses drapeaux à un terme donné, fût proclamé infame, son nom attaché sur un poteau de sa commune, et qu’après avoir été mis aux fers dix ans, il fût flétri et banni à perpétuité. Songez que les Germains dont les Francs descendaient, noyaient sous une claie les lâches et les infâmes. Voulez-vous rester libres ? Flétrissez tout homme qui n’est pas déterminé à mourir pour la patrie : autrement vous n’avez de république qu’en duvets et de liberté qu’en effigie. C’est surtout à votre jeunesse que vous devez donner de grandes leçons. La mort du fils de Pontius fut une grande leçon pour cette jeunesse romaine, qui, accoutumée au luxe des cours, voulait ramener le règne des rois ; votre jeune chouannerie a grand besoin de pareils exemples. Donnez des fers à ceux qui veulent des maîtres, et que ceux qui n’en veulent pas aillent combattre les rois.»

− Le 27 ventôse de l’an IV (17 mars 1796), il défendit le projet de Louvet sur la liberté de la presse.

− Le 21 thermidor (8 août), il a soutenu la publicité de la discussion sur les finances.

Le 4 nîvose de l’an VIII (25 décembre 1789), favorable au coup d’état de brumaire, il fut choisi par le sénat conservateur comme député de Seine-et-Oise au nouveau corps législatif qu’il présida du 22 novembre 1801 au 7 décembre 1801.

Le 29 brumaire de l’an IX ( 20 novembre 1800), il fit partie des 48 premiers membres de l’Institut lors de sa réorganisation. Il abandonne la vie politique en 1802 et en 1806 est fait chevalier dans l’ordre de la légion d’honneur.

M. Dacier, secrétaire perpétuel de la 3e classe de l’Institut, a prononcé son éloge.

Ses Ouvrages :

     

 

1781 : Mémoire sur l’origine des constellations et sur l’explication de la Fable par le moyen de l’astronomie.

1795 : Origine de tous les cultes ou Religion universelle. Ouvrage en 3 volumes in-4 avec atlas et en 12 volumes in-8. Réédité en 1822, 1835-1836.

1798 : Abrégé de l’origine de tous les cultes.

1806 (mai) : Dans la Revue phylosophique : deux mémoires sur les Pélasges et un mémoire sur le Zodiaque de Tentyra.

1806 : Mémoire explicatif du Zodiaque chronologique et mythologique en un volume in-4. Des manuscrits sur les Hiérogliphes égyptiens, des Lettres sur la Mythologie, une traduction des Discours choisis sur Cicéron et un ouvrage, Les ruines dédié à son ami Volney.


Plaque commémmorative située sur l’auditoire de justice à Trie-Château


Extraits de textes de :

− Assemblée Nationale. Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889. A. Robert et G. Cougny.

− Bulletin de l’Athénée du Beauvaisis. Notice historique sur Charles Dupuis de Victor Tremblay

− Notice biographie de J. Germand

− Wikipédia

 

LE PHILOSOPHE DUPUIS

1 er octobre 1903

Ce Dupuis, dont on a inauguré, dimanche dernier, le monument à Is-sur-Tille, était profondément inconnu de la génération actuelle.

Et cependant il avait eu de hauts titres et de hautes fonctions.

Membre de l'Académie des inscriptions sous l'ancien régime, député à la Convention nationale, appelé à siéger à l'Institut lors de la formation de ce corps, il fit aussi partie de ces simulacres de représentation nationale qu'avait créés la Constitution de l'an VIII.

La célébrité ne lui avait pas plus manqué que les honneurs.

Quand, en l'an III, parut son grand ouvrage : Origine de tous les cultes ou Religion universelle, par Dupuis, citoyen français, 4 vol. in-8° dont un atlas, ce fut presque un événement.

Au moment du Concordat, son nom servit comme de bannière aux protestations des libres-penseurs.

Sous la Restauration, son Abrégé de l'Origine fut réimprimé contre le cléricalisme, au même titre et en même temps qu'on réimprimait Voltaire, et fit les délices de la bourgeoisie d'alors.

Puis, tout d'un coup ; l'oubli se fit, la tombe de Dupuis disparut sous les ronces dans le cimetière d'Is-sur-Tille, et aujourd'hui il n'y a plus que des vieillards qui sachent ce que c'est que Dupuis.

Quelles sont les causes de cet oubli, qui fut si brusque qu'il nous apparaît aujourd'hui, rétrospectivement, comme un châtiment concerté ?

Cette bourgeoisie qui était si entichée de Dupuis, de quel crime, subitement découvert, a-t-elle voulu le punir en ne le lisant plus, en le démodant tout à coup, en déclarant qu'il n'était plus de bon ton de le lire ?

Serait-ce qu'à l'heure où elle devint plus conservatrice qu'elle n'avait été libérale, elle eut honte d'avoir fait une telle renommée à un ex-conventionnel ?

Mais Dupuis, à la Convention, n'avait pas siégé à la Montagne ; il n'avait même pas voté la mort de Louis XVI, que votèrent tant de Girondins, et si, après Thermidor, il lutta contre les excès de la réaction, on ne peut pas dire qu'il ait jamais agi ou parlé en sans-culotte.

D'ailleurs, Dupuis n'avait jamais été célèbre comme conventionnel, mais comme « philosophe », ou, pour parler notre langage d'aujourd'hui, comme libre-penseur.

Et, justement, c'est bien cela.

C'est parce que les ouvrages de Dupuis étaient antireligieux que la bourgeoisie les aima tant vers 1825 ; c'est aussi et de même parce que ces ouvrages étaient antireligieux que la bourgeoisie les voua à l'oubli vers 1855.

Cette contradiction dans les jugements et les goûts de la bourgeoisie, au sujet du même auteur, est instructive en ceci qu'elle nous montre bien à quel point les opinions religieuses de cette bourgeoisie changèrent à partir de l'époque où elle fit alliance avec l'Église contre la démocratie, c'est-à-dire à partir de la seconde République.

Pour juger de ce changement, parcourez les ouvrages de Dupuis.

Laissons de côté, si vous voulez, son système, qui donne à tous les cultes la même origine astronomique, et qui est chimérique, assure-t-on, comme le sont d'ailleurs tous les systèmes, et voyons ce qu'il dit de la religion chrétienne.

Il lui reproche, à cette religion (t. II, p. 164), de détruire la morale par la confusion des idées de vice et de vertu et par l'abus des récompenses et des peines qu'on y attache : « Nous ne disconvenons pas, disait-il, que la religion des chrétiens ne récompense pas des vertus et ne punisse des vices que toute bonne morale doit encourager ou réprimer. Mais, outre qu'elle n'a rien en cela qui ne lui soit commun avec les anciennes initiations, et qui puisse en conséquence lui donner la préférence sur elles, on peut dire qu'elle a un grand inconvénient, c'est celui de mettre des pratiques frivoles ou ridicules sur la même ligne que les vertus réelles, et même de leur donner un caractère de perfection qui les place audessus des vertus ordinaires ; et, au contraire, de traiter les affections les plus douces, les jouissances les plus permises par la nature, qui en a fait un besoin, de les traiter, dis-je, à l'égal des plus grands forfaits. »

Et il ajouta spirituellement : « Si celui qui donne naissance à un homme, sans consulter le prêtre, est coupable autant que celui qui le détruit, l'amour et l'homicide sont donc également des crimes aux yeux de la nature, le da raison humaine et de la justice divine. »

La morale chrétienne s'offre au peuple comme une règle solide. Règle fragile, au contraire ! « Comme on n'a pas permis au peuple, dit Dupuis, de raisonner sur la légitimité des défenses qu'on lui fait et des devoirs qu'on lui impose, et qu'il n'a pas d'autre règle qu'une foi aveugle, dès qu'il cesse d'être crédule, il cesse presque toujours d'être vertueux, parce qu'il n'a pas été accoutumé à éclairer du flambeau de la raison sa marche et sa conduite, et qu'on lui a fait chercher ailleurs qu'en lui-même les principes de la justice et de la morale. »

Plus vif encore contre la religion est l'Abrégé de l'Origine, qui en réalité est moins un abrégé qu'un ouvrage neuf.

Faut-il une religion ? se demande Dupuis.

Non, mais il n'y a pas moyen d'arracher aujourd'hui « l'arbre antique des superstitions », à l'ombre duquel les hommes croient avoir besoin de se reposer. La religion, c'est un « mal d'autant plus incurable » qu'il nous fait redouter jusqu'aux moyens qui pourraient le guérir. « On saurait gré à un homme qui délivrerait pour toujours l'espèce humaine du fléau de la petite vérole : on ne pardonne pas à celui qui voudrait la délivrer de celui des religions, qui ont fait infiniment plus de mal à l'humanité, et qui forment une lèpre honteuse qui s'attache à la raison et qui la flétrit. Quoi qu'il y ait peu d'espoir de guérir notre espèce de ce délire général, il est néanmoins permis au philosophe d'examiner la nature et les caractères de cette épidémie ; et, s'il ne peut se flatter d'en préserver la grande masse des hommes, il estimera toujours heureux, s'il vient à bout d'y soustraire un petit nombre de sages. »

Cet Abrégé, où il y a ces hardiesses, parut, je crois en 1807 ; mais c'est surtout à la fin de la restauration qu'il fut, je ne dis pas populaire, - le peuple ne lisait pas alors, - mais goûté de la bourgeoisie.

Voilà donc ce que lisaient les bourgeois sous Charles X. L'esprit du dix-huitième siècle, anticatholique, antichrétien, était en eux.

Mesurez la distance et le changement. Demandez-vous la figure que ferait aujourd'hui un abonné du Temps ou des Débats, s'il trouvait dans son journal des articles dans le goût de la philosophie de Dupuis.

Et notez que Dupuis avait déjà publié une partie de ses idées pour un « ennemi de la religion », et que cela ne l'empêcha pas d'être élu dès lors à l'Académie des inscriptions.

Vous ne voyez pas là que la bourgeoisie est plus dévote aujourd'hui qu'elle ne l'était sous le dévot Louis XVI.

(Aurore du 1er octobre 1903.)