Jean-Jacques Rousseau

 

Rousseau en 1766 par Allan Ramsay

The National Gallery


L'année que Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a passé au château de Trye est très peu développée par les rousseauistes. Certainement parce que Les Confessions s’arrêtent en 1765 juste avant son départ pour l’Angleterre et seulement deux ans avant de trouver refuge à Trie-Château. En m’appuyant sur le très beau travail de madame Monique Brennemann dans la revue des Pages Héraldiques (hors-série n°9) et bien-sûr de la prolifique correspondance de Jean-Jacques Rousseau, j’ai tenté de vous faire découvrir le séjour du philosophe. 

Vincent Beignon le 19 décembre 2016

 

 

Après la parution de l’Emile ou De l'éducation, le Parlement de Paris par son arrêté du 9 juin 1762 condamne «ledit livré à être lacéré et brûlé en la Cour du Palais, au pied du grand escalier d’icelui,  par l’Exécuteur de la Haute-Justice » et ordonne «que le nommé Jean-Jacques Rousseau, dénommé au frontispice dudit livré,  sera pris et appréhendé au corps et amené ès prisons de la Conciergerie du Palais, pour être ouï et interrogé par-devant ledit Conseiller-Rapporteur, sur les faits dudit livré et répondre aux conclusions que le Procureur-Général entend prendre contre lui. »                                                                                                            

Dès lors l'auteur n'a de cesse de fuir.

 

C'est en rentrant d'Angleterre, le 22 mai 1767 par Calais et Amiens, qu’il s’installe temporairement le 5 juin à Fleury-sous-Meudon, dans une maison du marquis de Mirabeau, et contact le Prince de Conti : « R. n’a jamais compté faire ici une résidence même passagère, ni on ne la lui a point donnée comme telle; il n’attend pour se rendre dans un lieu moins en vue et plus sûr que les ordres de S.A. ; et du lieu où il compte se rendre et il attendra d’ultérieurs pour celui qu’il doit habiter. » (7)

Rousseau avait déjà écrit au Prince pour se mettre sous sa protection dès son arrivée en France et après lui avoir répondu à Amiens, Conti lui dit dans un deuxième courrier : «Mon objet jusqu’à présent est de vous procurer en France un asile tranquille, si cela se peut en sûreté, sinon d’assurer votre sortie, si cela est nécessaire. » (7)

Dès 1765, avant même son départ pour l'Angleterre, le prince de Conti en hébergeant Rousseau à l’hôtel Saint-Simon dans l’enclos du Temple, qui bénéficiait de l’extraterritorialité, avait proposé de l’accueillir dans l’un de ses châteaux. J.J. Rousseau du Temple écrit le 21 décembre 1765 : « J’ai l’honneur d’être l’hôte de M. le Prince de Conti. Il a voulu que je fusse logé et servi avec une magnificence qu’il sait bien n’être pas selon mon goût, mais je comprends que, dans la circonstance, il a voulu donner en cela un témoignage public de l’estime dont il m’honore. Il désirait beaucoup me retenir tout à fait et m’établir dans un de ses châteaux à douze lieues d’ici. »

Et le 21 juin 1767, âgé de 55 ans, J.J. Rousseau arrive au château de Trye en compagnie de François Coindet. A la demande du Prince de Conti pour préserver son anonymat, il se présente sous le nom d'emprunt de Jean-Joseph Renou, nom de jeune fille de la mère de Thérèse Levasseur qui est censée être sa sœur. []


Le château de Trye n'était pas choisi par hasard parmi les très nombreuses possessions du Prince car Trie-Château qui dépendait du Parlement de Paris se situait à une lieue de Gisors en Normandie rattachée au Parlement de Rouen où il pourrait très rapidement se réfugier, le cas échéant.

 

La première impression de Rousseau est favorable, « Le Chateau est vieux, le pays est agréable, et j'y suis dans une hospice qui ne me laisseroit rien à regretter si je ne sortois pas de Fleury » (1) indique-t-il dans l’une de ces correspondances. Le château composé de la forteresse médiévale réaménagée et du château neuf est imposant mais donne une impression de vétusté et certaines de ses parties sont délabrées. On sait que le prince de Conti n'y venait qu'occasionnellement. Grand amateur de chasse, il préférait son proche domaine de Bertichères où il recevait ses relations.

 

Nous n’avons que peu d’informations pour situer exactement le logement occupé par le philosophe. La tradition orale nous a transmis que les révolutionnaires de 1789, en sa mémoire,  ont laissé, seule intacte, la tour du commandant pour y avoir séjourné. Selon quelques minces indices, il aurait pu occuper la pièce au dernier étage de la tour.

« Il y occupa une vaste chambre dont le sol étaient carrelé et les murs complètement nus. Une cheminée en pierre style Louis XV et quelques meubles indispensables en faisaient tout l’ornement. Parmi ces meubles figurait un modeste bureau en bois blanc qu’on a conservé mais que les vers sont loin d’avoir respecté. C’est sur lui que Rousseau a écrit outre sa correspondance les sixième et neuvième livres de ses Confessions. On accédait à cette pièce par un petit escalier étroit à larges marches en bois de chêne et, de la lucarne qui éclairait ce pauvre logis, on jouissait d’un panorama d’autant plus ravissant qu’à cette époque n’existait pas, en face du château, les hautes constructions affectées à des établissements industriels qui masquent aujourd’hui une partie du premier plan. » (4)

Mais la description de cette pièce, correspond difficilement à ce qu’il écrit à madame la marquise de Verdelin le 22 juillet: « Le commandant de l’équipage de chasse, homme à ce qu’on dit très haut et très vain, paraît outré de me voir occuper un appartement, qu’il aurait voulu peut-être pour lui-même… » (2)

 

Grande planche folio dessinée par Villeneuve en 182O et lithographiée par F. Delpech

 

La botanique :

Elle fut son refuge et lui permettait de s’évader et ne plus penser aux persécutions dont il faisait l’objet. Déjà en septembre 1766, il écrivait à la duchesse de Portland : « L’étude de la nature nous détache de nous-mêmes et nous élève à son Auteur. C’est en ce sens qu’on devient vraiment philosophe. C’est ainsi que l’histoire naturelle et la botanique ont un usage pour la sagesse et pour la vertu." (3)

Avec son chien Sultan, il longeait les rives de la Troësne et de l’Aunette, gravissait le mont Oint, parcourait le bois de la Garenne et cueillait plantes et fleurs pour compléter son herbier.
C’est en juillet 1766, lors de son séjour en Angleterre, qu’il fait la connaissance de la duchesse de Portland (1715-1785) très grande botaniste et femme la plus riche du Royaume-Uni de l’époque avec qui il herborise à plusieurs reprises à Calwich.

Le 10 juillet 1767, il lui écrit : « Si j’osais me flatter, madame la duchesse, que mes observations pussent avoir pour vous le moindre intérêt, le désir de vous plaire me les rendrait plus importantes ; et l’ambition de vous appartenir me fait aspirer au titre de votre herboriste… Accordez-moi, madame, je vous en supplie, la permission de joindre ce titre au nouveau nom que je substitue à celui sous lequel j’ai vécu si malheureux. Je dois cessez de l’être sous vos auspices ; et l’herboriste de madame la duchesse de Portland se consolera sans peine de la mort de J.J. Rousseau. » (3)

Le 12 septembre, il répond à un courrier de la duchesse : « Je suis comblé de la permission que vous voulez bien m’accorder et très fier de l’honneur de vous appartenir en quelque chose. Pour commencer, madame, à remplir des fonctions que vous me rendez précieuses, je vous envoie ci-joint deux petits échantillons de plantes que j’ai trouvé à mon voisinage parmi les bruyères qui bordent un parc, dans un terrain assez humide, où croissent aussi la camomille odorante, le Sagina procumbens, l’Hieracium umbellalum de Linnæus …» (3)

 

 

 

Camomille odorante    Sagina procumbens    Hieracium umbellalum

 

« …et d’autres plantes que je ne puis vous nommer exactement, n’ayant point encore ici mes livres de botanique. » (3)

Les deux échantillons de plantes que Jean-Jacques Rousseau n’a pu définir faute d’ouvrages sont la radiole ou faux lin (Linum radiola de Linné) et la gentiane filiformis (gentiana filiformis de Linné), plantes peu communes dans notre département et protégées dans certaines régions.

 

 

Linum radiola

 

Gentiana  filiformis

 

Il était très fier de la découverte de la gentiane. Il écrivit à la duchesse de Portland le 4 janvier 1768 : « Si, par exemple, madame, vous vouliez faire semer le gentiana filiformis, j’en recueillerais facilement de la graine l’automne prochain ; car j’ai découvert un canton où elle est en abondance. » (1)

Mais il ne pouvait se douter qu’il quitterait Trye bien avant, et de Lyon il lui écrit le 2juillet 1768 : « Quelque riche que soit le jardin de l’école vétérinaire, je n’ai cependant pu y trouver le gentiana campestris ni le swertia perennis ; et comme le gentiana filiformis n’était pas même encore sorti de terre avant mon départ de Trye, il m’a, par conséquent, été impossible d’en cueillir de la graine… » (1)

Et le 21 août 1769, de Bourgoin en Dauphiné : « J’ai la mortification de ne pouvoir quand à présent, vous envoyer, madame la duchesse, de la graine de gentiana filiformis ; la plante étant très petite, très fugitive, difficile à remarquer pour des yeux qui ne sont pas botanistes. » (1)

Le partage de cette plante méconnue que la duchesse souhaitait, lui tenait réellement à cœur car quatre ans après sa découverte, le 19 juillet 1772 de Paris, il correspondait encore avec elle en ces termes : « Je n’ai certainement pas oublié, madame la duchesse, que vous aviez désiré de la graine du gentiana filiformis ; mais ce souvenir n’a fait qu’augmenter mon regret d’avoir perdu cette plante, sans me fournir aucun moyen de la recouvrer. Sur le lieu même où je la trouvai, qui est à Trye, je la cherchai vainement l’année suivante, et soit que je n’eusse pas bien retenu la place ou le temps de sa florescence, soit qu’elle n’eût point grené, et qu’elle ne se fut pas renouvelée, il me fut impossible d’en trouver le moindre vestige. », « Je vous proteste, madame la duchesse, que je ferai de tout mon cœur le voyage de Trye pour y cueillir cette petite gentiane et sa graine, et vous faire parvenir l’une et l’autre, si j’avais le moindre espoir de succès. », «  Elle n’est point ici au jardin du Roi, ni, que je sache, en aucun autre jardin, et très peu de gens même la connaisse. » (1)

 

La musique :

J. J. Rousseau aimait à aller en l’abbaye de Gomerfontaine rendre visite à l’abbesse Anne-Jeanne du Pouget de Nadaillac. Il composa un « mottet à deux voix pour Madame de Nadaillac abbesse de Gomerfontaine qui a fourni les paroles ». (5) (Ecoutez le motet en pièce jointe)

Mottet, s.m. Ce mot signifioit anciennement une composition fort recherchée, enrichie de toutes les beautés de l’Art ; & cela sur une période fort courte, d’où lui vient, selon quelques-uns, le nom de Mottet, comme si ce n’étoit qu’un mot.

Aujourd’hui l’on donne le nom de Mottet à toute Pièce de Musique faite sur des paroles Latines à l’usage de l’Eglise Romaine, comme Pseaumes, Hymnes, Antiennes, Répons, &c. Et tout cela s’appelle en général, Musique Latine. (Dictionnaire de musique par J.J. Rousseau 1767)

Un motet est une composition musicale courte souvent sans titre et que l’on nomme par ses premiers mots.

L’abbesse de Gomerfontaine a adapté sur la musique de Rousseau des versets issus du psaume 84 de la bible.

 

Quam dilecta tabernacula (Traduction française de Louis Segond)

Verset 2 - Quam dilecta tabernacula tua Domine virtutum

Verset 2 - Que tes demeures sont aimables, Eternel des armées!

Verset 3 - Concupiscit et defecit anima mea in atria Domini

Verset 3 - Mon âme soupire et languit après les parvis de l'Eternel,

Verset 4 - Etenim passer invenit sibi ; domun et turtur nidum sibi ubi ponat pullos

Verset 4 - Le passereau même trouve une maison, et l'hirondelle un nid où elle dépose ses petits...

Verset 11 - elegi abiectus esse in domo Dei mei magis quam habitare in tabernaculis peccatorum

Verset 11 - Je préfère me tenir sur le seuil de la maison de mon Dieu, plutôt que d'habiter sous les tentes de la méchanceté.


Anne-Jeanne du Pouget de Nadaillac, née en 1720, est nommée abbesse de Gomerfontaine du diocèse de Rouen le 26 août 1751, et prend possession de son abbaye cistercienne le 2 janvier 1752. (6)

 


Crédit : BnF - Gallica

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En 1748, Rousseau participe à l’élaboration de l’Encyclopédie notamment pour la partie musicale. Mais jugeant ses articles bâclés car écrits dans la précipitation, il décide en 1756 de tout reprendre afin de composer un Dictionnaire de musique. Travaux qui dureront jusqu’en décembre 1764.

Lors de son séjour à Trye, Jean-Jacques commence la correction de la préface de son dictionnaire pour le publier.

Extrait d’une lettre du 29 juillet 1767 de J.J. Rousseau à François Coindet : « J’ai trouvé les feuilles du Dictionnaire pleines de fautes énormes ; j’en ai marqué quelques unes quand une plume s’est trouvé sous ma main en le parcourant. Il ne m’est pas possible de les relire pour courir derechef après les autres fautes. » (7)

Et le 21 novembre, F. Coindet lui écrit « Le dictionnaire va paraître et j’ai déjà mon exemplaire dont je vous remercie de tout mon cœur. » (7)                      

Son dictionnaire de musique est finalement édité le 30 novembre 1767.

 

 

Chronologie :

Le 21 juin 1767, Rousseau arrive au château de Trye en compagnie de François Coindet et bien sûr de Thérèse Levasseur.

De Gisors, le 27 juin au soir, il écrit à son ami : « Je suis venu ici, cher Coindet, au-devant de mon chien avec M. Cochois à qui j’assurais bien en venant qu’infailliblement il serait arrivé malheur au pauvre animal, et qui se moquait de moi comme de raison. Le carrosse arrive, on interroge le cocher, qui daigne à peine nous écouter et qui, dit-il, n’a point de chien. On le presse, on l’importune. Il l’a, dit-il, oublié à Pontoise. Tel a été le sort final du malheureux Sultan, et tel est le mien en toute chose. Adieu. » (2)

Pour l’informer dés le lendemain : « Je me hâte de vous dire qu’on vient de ramener mon chien. J’en suis redevable à la précaution que vous avez prise, et que j’ignorais, de faire graver sur son collier le nom du château. » (2)

 

 

Rousseau souffrait de graves problèmes urinaires et devait utiliser des sondes en porcelaine. En 1761, l’une d’elles se brisa dans l’urètre du philosophe et la douleur fut si intense que Rousseau pensa ne pas y survivre. Ce sont ces problèmes de santé qui le conduisent à se faire confectionner un habit d’arménien (un Kaftan) qui lui permet de dissimuler les sondes, impossible à cacher dans un vêtement à la française.

Imaginez les interrogations que pouvaient bien se poser les habitants de Trye-le-Château en voyant ce protégé du Prince sans suite, habillé dans un accoutrement étranger, par monts et par vaux examinant de simples plantes et le 22 juillet, il se plaint, déjà, à la marquise de Verdelin, du mauvais traitement infligé par le personnel du château : « La première est mon équipage et celui de ma sœur, un peu moins que bourgeois. Dans un protégé du Prince traité avec tant de distinction, l’on s’attendait à voir un homme à grands airs; du galon, des rubans noirs ou rouges, un plumet, du moins une épée. », « Ils ont cru que le Prince se moquait d’eux et qu’il leur envoyait quelque faquin d’espion pour examiner leur conduite… », « Il (le concierge) m’a même fait enfermer plusieurs fois tantôt hors du château tantôt dedans… », « Le jardinier qui a eu l’ordre de me fournir des légumes, l’a trouvé fort mauvaise, m’a fait insulter par ses garçons conjointement avec les palefreniers, valets de chiens et autres gens dont je ne connais pas un seul : ils ont soulevé contre moi tout le village et les villages voisins ; le vicaire s’est mis de la partie. » (2) 

Selon le Prince de Conti, par la voix de Coindet : « … On a voulu faire courir le bruit dans le pays que vous étiez un étranger, anglais, qui veniez faire des emplettes de blé pour les transporter ailleurs, et cela a donné de l’inquiétude aux habitants des environs. » (7) Et à la vérité, M. Deschamps, concierge du Prince, laissait entendre que Rousseau n’était pas un invité du Prince, mais bien un espion chargé d’épier tout le monde : « J’y suis un espion placé de sa main (celle du Prince) pour tracasser ici tout le monde, et que si l’on ne vient promptement à bout de m’en chasser de manière ou d’autre chacun peut se tenir pour perdu. Vous ne saurai imaginer l’effroi mêlé d’exécration que ma présence inspire à ces pauvres dupes. », « Quelque honneur que je me fasse d’être l’herboriste de Madame de Portland il faut que ce titre cède à un autre que je tiens de la libéralité du Sr Deschamps : L’espion de Monsieur le Prince de Conti. » (7) Courrier en date du 1er septembre. 

Malgré tous ces désagréments de la vie quotidienne, et les précautions afin de ne pas dévoiler son identité, J.J. Rousseau avait une vie sociale bien remplit. Il rendait visite, lors de ses promenades aux frères Morel, fondeurs de cloches au lieu-dit de la Croix blanche, à Françoise Séguier, fille de Claude Séguier, seigneur de Liancourt et de Courtieux, jeune femme distinguée demeurant à Chaumont-en-Vexin, pour y deviser, jouer et interpréter des morceaux de musique et bien-sûr à l’abbesse de Gomerfontaine en qui il avait toute confiance au point de lui confier divers lettres et manuscrits dont un cahier des Confessions.

En date du 5 juillet, Rousseau écrit à Coindet : « Vous m’avez magnifiquement envoyé deux couverts d’argent. Cela est fort bien : mais j’en aurois mieux aimé quatre d’autre chose, afin que quand j’ai quelqu’un à diner, ce qui m’arrive assez souvent, je ne fusse pas avec mon argenterie réduit à manger ma soupe avec les doigts. » (7)

Et le 29 juillet de préciser : « J’ai aujourd’hui sept personnes à diner, et je ne puis éviter que pareille fête ne me revienne souvent… »

Dans son courrier du 5 juillet, il demande à son ami : « J’attends le second envoi que vous m’annoncez ; Je vous prie de ne pas oublier des raquettes et des volants, un portefeuille de carton pour mettre des plantes à la promenade… » (7) Et le 10 juillet, il reçoit sa commande avec notamment une paire de raquettes et 12 volants ; Ce qui laisse à supposer qu’il jouait au jeu de paume dont le terrain était situé derrière le château neuf.

Mais parcourir les chemins pour se promener, se rendre chez ses amis ou bien les bois pour herboriser ne se faisait pas toujours en toute sécurité : « C’est qu’il y a actuellement ici une bande de voleurs cachés dans les bois et qui tiennent tout le monde tellement en allarmes qu’on ne veut pas que je sorte, et que M. Manoury a pris même la peine hier au soir de venir avec son fusil et un garde au devant de moi revenant de la promenade. » (7) Indique t-il dans un courrier du 13 août.

C’est le 27 septembre que Rousseau informe de l’arrivée de ses malles en provenance d’Angleterre où étaient ses vêtements chauds pour passer l’hiver et surtout son herbier.

S.A.S. Monsieur le Prince de Conti était à Trye le mardi 6 et mercredi 7 octobre 1767. « Son voyage a fait de l’effet dans le pays, aucun dans sa maison ; la racine du mal qui va serpentant sous la terre n’est pas coupée, et ne le sera qu’avec le fil de mes jours. » (7) Ecrit Rousseau.

Le 27 octobre 1767, J.J. Rousseau accompagne, à Boury-en-Vexin, le prince de Conti invité à une chasse par le marquis de Boury. Bien-sûr, Rousseau n’y participe pas et reste au château.

 

 

Plan du château de Trye avec la futaye et le bois de Villers en 1703 par Louis Danvin – Bibliothèque nationale de France

A plusieurs reprises dans la correspondance, il est fait mention d’un hiver 1767/ 1768 enneigé et d’un froid très rigoureux et c’est début novembre, la date se situe entre le 4 et le 9, que Pierre-Alexandre Du Peyrou, accompagné de son valet Grisel, rend visite à son ami. Provenant de Paris et encore convalescent d’une attaque de goutte, il tombe aussitôt malade « …il y a peu de jours que M. Du Peyrou a failli mourir d’une attaque de goutte remontée… » (7) Ecrit Jean-Jacques le 12 novembre à François Coindet. Cette crise particulièrement violente suscite de la part du malade rongé par la fièvre, des divagations sur un éventuellement empoisonnement par J.J. Rousseau. Ce dernier qui n’a pas quitté le chevet de son ami en est très affecté et pour se dédouaner d’une éventuelle fin tragique écrit une longue missive au Prince de Conti le 19 novembre dont voici quelques extraits : « Un matin j’appris qu’il avait passé une très mauvaise nuit sans dormir, et dans des agitations continuelles : quand il vint pour déjeuner, il avait un visage de déterré ; il ne put achever sa tasse. Il nous montra sa main droite un peu enflée, et nous dit que son pied l’était aussi ; je lui trouvais de la fièvre… A peine pouvait-il mettre un pied devant l’autre ; il était d’un assoupissement si profond qu’il s’asseyait, ou plutôt s’y laissait tomber, sous chaque arbre qu’il rencontrait et s’y endormait à l’instant… Il se sentit mal à la gorge, à la tête, à l’estomac, de l’oppression. Sa main et son pied étaient désenflés, mais il sentait des douleurs dans les genoux. », « Il (le médecin) ordonna une potion cordiale et antispasmodique qu’on apporta quelque temps après. J’étais alors seul avec le malade, ayant envoyé coucher son domestique, qui avait passé la nuit auprès de lui. La potion devait être distribuée en plusieurs prises ; je voulu moi-même les lui donner. La couleur en était grise, un peu noirâtre, et le blanc de la tasse faisant paraître la liqueur encore plus noire ; cette couleur le frappa extrêmement. Il me dit, en me fixant et prenant la tasse : « Je la prends avec bien de la confiance. » », « Que devins-je, quand à force de l’examiner, de le presser, de le conjurer d’expliquer son silence obstiné, je parvins à comprendre qu’il se croyait empoisonné, et par qui ?... mon Dieu ! », « J’ai toujours cru qu’il y avait des sortes de délires qui ne pouvaient jamais entrer dans la tête d’un honnête homme, fut-il devenu fou, et ce n’est pas surtout dans des têtes aussi bien organisées et vivifiées par un cœur aussi sain que j’ai toujours cru le sien, que de tels délires peuvent prendre la consistance. », « L’effroi, le frémissement, la douleur de perdre en lui tout ce qui m’attachai encore à la vie, les terribles circonstances de cette perte, tout cela me tourna la tête et me mit tout à fait hors de moi. Je me précipitai sur mon ami, collant mon visage sur le sien, l’inondant de mes pleurs et poussant des cris à demi étouffés. Je ne sais ce que je lui dis dans mon transport ; mais je sais très certainement que le plus ardent de mes vœux était de pouvoir expirer à l’instant même. Quel effet croiriez-vous, Monseigneur, que fit tout cela sur son esprit rampant et préoccupé ? Le barbare m’osa reprocher que je choisissais l’instant de sa plus grande faiblesse pour lui donner une commotion qui l’achevât. Cette indignité fit enfin l’effet que tout le reste n’avait pu faire. En ce moment, je sentis toute mon estime, tout mon acharnement, toute ma tendresse pour lui s’éteindre jusqu’à la dernière étincelle. » (2)

Recouvrant la santé le mardi 24 novembre, Du Peyrou s’apprête à quitter Trye lorsqu’il fait une rechute début décembre. Rousseau étant trop éprouvé écrit le 13 décembre à la famille du malade qui délègue le lieutenant-colonel Abraham Pury (1724-1807), conseiller d’état neufchâtelois en 1765 et futur beau-père de Du Peyrou, pour le seconder. Et c’est le 3 janvier 1768, complètement rétabli, que Pierre-Alexandre prend congé de son hôte.

Après bien des reports dus au mauvais temps et à une entorse qui fût très long à se résorber, François Coindet se rend enfin à Trye du 14 au 16 février. Visite qui ne s’est pas très bien passée, ils se sont disputés au sujet de Hume. Dès le lendemain Coindet écrit à Rousseau : « Je suis arrivé heureusement ; mais au lieu de cette sérénité, de ce doux contentement que j’espérais rapporter de mon séjour près de vous, j’ai le cœur navré de ce qui s’est passé hier au soir, et des impressions désavantageuses que je vois bien que vous avez sur mon compte. » (7) Et de poursuivre le 25 février : « J’espérais que vous auriez eu la bonté de répondre à la lettre que je vous ai écrite en arrivant ici. Ce silence m’afflige plus que je ne puis l’exprimer, et vous sentez bien qu’il n’est pas propre à diminuer les perplexités que j’ai rapportées de mon triste voyage. Jamais, non jamais je n’ai senti mon âme aussi oppressée ; au lieu de ce doux contentement que j’espérais rapporter des moments passés près de vous, je ne sens qu’ennui et tristesse… ». (7)

Et Rousseau de répondre par deux derniers courriers en date du mois de mai dont voici les extraits les plus significatifs:

« Renou fait ses salutations à M. Coindet et ses excuses s’il n’a pas aujourd’hui l’honneur de lui écrire. »

« Naturellement je devois attendre dans ma détresse quelque assistance ou quelques lumières de quelqu’un de mes amis ; je n’en ai receu de personne. Cela m’a fait prendre le parti de rompre des liaisons tout au moins inutiles, et la votre n’est pas exceptée. »

 

                                                                                                                                       Rousseau en 1753 par Maurice Quentin de la Tour – Musée Rous

 

La santé du concierge Deschamps, perpétuellement souffrant, s’est brutalement dégradée et le diagnostic du docteur Eustache-Philippe Laubel qui vient au château le jeudi matin 17 mars n’est pas rassurant. Lors de cette visite, Jean-Jacques reprend langue avec le médecin qui l’invite à dîner le 24 mars à Gisors. L’état de faiblesse du concierge apitoie notre philosophe qui rend visite au malade tous les jours, au moins deux fois, lui apporte deux bouteilles de vin de Bourgogne, qu’il recommande de boire de temps en temps que quelques cuillérées, un pot d’épine-vinette confite. Le malade empiroit sensiblement ; la bile le gagnoit ; il jaunissoit ; les points à la rate augmentoient et devenoient insupportables. Il reçu le viatique le mercredi saint 30 mars. (8) Rousseau apporta même du poisson que le malade aimait tant ; Un brocheton pêché par M. Manoury et préparé au bleu par Thérèse. Mais le pauvre reçu l’extrême-onction le 6 et décéda le lendemain matin 7 avril. Les médisances commencèrent jusqu’à accuser Rousseau d’avoir empoisonné le concierge. Afin de prouver son innocence, il dut financer une autopsie pratiquée par le docteur qui déclara la mort naturelle.

Ces terribles accusations décidèrent Rousseau à quitter Trye. Le 8 avril, il écrit à Son Altesse Sérénissime qui demeurait à l’Isle-Adam une lettre contenoit une déclaration que je voulois aller purger mon décret à Paris, une prière de m’y faire conduire dès le lendemain, très sûr que si je me mettois en devoir d’y aller moi-même… et enfin une résolution de ma part, si je n’avois nulles nouvelles le samedi, de me consigner le dimanche dans la prison de Trye, pour y rester jusqu’à ce qu’il plût à S.A.S. de me faire conduire à mes jugent. (8)

Le prince de Conti vient à Trye dès le 10 avril pour calmer son protégé, et une autre entrevue à lieu à Sandricourt le 25 mais le mal est trop profond et début juin, J.J. Rousseau écrit au Prince de Conti en ces termes : « Monseigneur, ceux qui composent votre maison (je n’en excepte personne) sont peu faits pour me connaître : soit qu’il me prenne pour un espion, soit qu’ils me croient honnête homme, tous doivent également craindre mes regards. Aussi, Monseigneur, ils n’on rien épargné, et ils n’épargneront rien, chacun par les manœuvres qui leur conviennent, pour me rendre haïssable et méprisable à tous les yeux, et pour me forcer enfin de sortir de votre château. Monseigneur, en cela je dois et je veux leur complaire. Les grâces dont m’a comblé votre Altesse Sérénissime suffisent pour me consoler de tous les malheurs qui m’attendent en sortant de cet asile, où la gloire et l’opprobre ont partagé m’on séjour. Ma vie et mon cœur sont à vous, mais mon honneur est à moi : permettez que j’obéisse à sa voix qui crie, et que je sorte dès demain de chez vous ; j’ose dire que vous le devez. Ne laissez pas un coquin de mon espèce parmi ces honnêtes gens. » (2)

Et le 12 juin 1768, Jean-Jacques Rousseau quitte, seul, Trye et s’en va relier Lyon et le Dauphiné via une étape au Temple, chez le Prince de Conti, à Paris.

Thérèse Levasseur reste à Trye car elle s’y est bien intégrée. Le 9 juillet, elle signe le registre paroissial de la commune en tant que marraine de la fille de Joseph et Marie-Françoise Lebon.

Rousseau lui écrit le 25 juillet de Grenoble : « Si vous ne recevez pas dans huit jours de mes nouvelles, n’en attendez plus, et disposez de vous, à l’aide des protections en qui vous savez que j’ai toute confiance, et qui ne vous abandonneront pas. Vous savez où sont les effets en quoi consistaient nos dernières ressources ; tout est à vous. », « Pesez bien toute chose avant de prendre un parti. Consultez Mme l’Abbesse ; elle est bienfaisante, éclairée, elle nous aime, elle vous conseillera bien, mais je doute qu’elle vous conseille de rester auprès d’elle. » (2)

Elle ne rejoindra son futur mari que le 26 août.

 

 

Thérèse Levasseur d’après Thomas Charles Naudet, gravée par E. Charreyre

 

 

Maquette du château de Trye réalisée par M. Morel - Mairie de Trie-Château 

 

Personnel du château :

  • L’officier du Prince
  • Le commandant de l’équipage de chasse M. Manoury (lieutenant des chasses), Madame Manoury et leur chien Colin. L’équipage de chasse a quitté le château le 28 juillet.
  • Le concierge M. Deschamps, son épouse et sa fille Mlle Euphrasie avaient une servante.
  • Le jardinier Joseph Lebon, sa femme Marie-Françoise et les garçons jardiniers.
  • Le garde chasse M. Le Livré (habite une maison en très mauvais état près d’une rivière, peut-être Illioré).
  • Le palefrenier
  • Le valet de chien
  • Les valets
  • Le perruquier
  • Le frotteur (personne qui frotte les sols, planchers et parquets)


Sources :                                           

-  (1) – Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau, édition critique établie et annotée par R.A. Leigh, Genève, Institut et Musée Voltaire, et puis Oxford, The Voltaire Foundation, 1965-1998.

- (2) – Jean-Jacques Rousseau – Lettres (1728-1778), présentation, choix et notes de Marcel Raymond, 1959.

- (3) – Œuvres complètes de J.J. Rousseau/Réimprimées d’après les meilleurs textes sous la direction de Louis Barré, 1856-1857 – BnF-Gallica

- (4) – Bulletin de la Société Historique de Compiègne-Tome onze-1904 – Alexandre Sorel.

- (5) – Gallica.bnf.fr – Bibliothèque nationale de France

- (6) – Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin - 1901 – Paul Ducourtieux.

- (7) – Correspondance de J.J. Rousseau et François Coindet (1756-1768) publiée et annotée par Alexis François

- (8) – Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau-Tome 1-1905

- Jean-Jacques Rousseau à Trye – Pages Héraldiques - Hors-série n°9 - 2012 – Madame Monique Brennemann.

- Wikipédia